Mardi 15 novembre 2016
Il pleut aujourd'hui et je n'ai qu'une seule alternative, me réfugier au West Coast Heritage Centre de Zeehan (ou Musée des Pionniers de la Côte Ouest), le plus grand musée de Tasmanie. Celui-ci offre presque plus d'une trentaine de galeries et d'attractions différentes, dont certaines sont en intérieur, et d'autres, sous les intempéries. Ce musée nous propose de découvrir l'histoire et l'essor de cette région côtière, à travers la présentation de photos, d'objets, de matériels et de minerais (collection historique de l'ancienne Ecole des Mines et de la Métallurgie). La petite ville tient son nom d'un Mont tout proche, le Mont Zeehan, lequel fut baptisé par les navigateurs George Bass et Matthew Flinders. A l'origine, la découverte de la Tasmanie eut lieu grâce à deux navires, le « Heemskerch » commandé par Abel Tasman et le « Zeehaen » placé sous les ordres de Franchoiys Visscher. Il est drôle de noter au passage que Zeehanen signifie poule de mer. Abel Tasman parcourut sur 10 miles la côte ouest de l'île au cours de l'après-midi du 24 novembre 1642, avant de mouiller à Point Hibbs, au sud de Macquarie Harbour. Flinders, lui, donnera le nom des deux navires hollandais à deux montagnes que les marins avaient aperçu depuis le large, le Mont Heemskerch et le Mont Zeehan. L'ouest tasmanien a donc été repéré en premier par les Européens et la cité de Zeehan possédera très tôt un port, le Trial Harbour, un peu précaire il est vrai, et qui sera bientôt détrôné par celui de Strahan.
Zeehan est surtout connu comme LA ville minière, surnommée ville d'argent, qui exploitera d'importants gisements d'argent découvert à proximité dès 1882 par le courageux Frank Long, alors prospecteur et bûcheron, qui avait fait partie, quelques années auparavant, en 1876, de l'expédition du Mont Heemskerch. Le minerai fera la richesse de la petite ville qui garde entre des traces des jolies façades de bâtiments comme par exemple, la Poste (ci-dessous), qui ouvrit pour la première fois en 1888. La mine d'argent atteindra un pic d'exploitation lors de la Première guerre mondiale, puis l'extraction du minerai se poursuivra jusque dans les années 1960. La population de Zeehan atteindra alors les 10 000 habitants (contre à peine mille âmes aujourd'hui). Et se retrouvera en compétition avec Queenstown, tout en étant aussi importante que Launceston et Hobart (devenues depuis les deux plus grandes villes de Tasmanie). Elle était alors la troisième ville de l'île. Ce qui me surprend en entrant dans Zeehan, c'est la longueur (3,2 kilomètres) de la rue principale de la ville. L'endroit comptait à l'époque une vingtaine d'hôtels, dont le Mount Zeehan Hotel (1888-1903), le Palace Hotel (1897-1903), deux établissements qui disparaitront tous les deux suite à un incendie. Zeehan posséda également plusieurs banques, la première ayant été la banque de Van Diemen's land, en septembre 1889. Le musée que je visite aujourd'hui me permettra d’approfondir mes connaissances sur Zeehan et ses alentours dans la neuvième galerie, au travers de nombreuses photos de l'époque.
Le musée, qui existe depuis les années 1960, occupe depuis cette date les anciens locaux de l'Ecole des Mines et de la Métallurgie de la ville, qui oeuvra ici entre 1894 et 1930. Tout comme plusieurs cités minières australiennes, Zeehan avait fondé son école des Mines dont l'enseignement fera référence en matière d'éducation minière juste avant la Première guerre mondiale, rivalisant ainsi avec les établissements de Charters Towers et de Kalgoorlie. Le projet apparut en 1891, prit forme deux ans plus tard, et son ouverture eut lieu le 2 février 1894, offrant dès ses débuts des cours de mathématiques, physique, minéralogie et chimie, avant de délivrer son premier diplôme en chimie métallurgique dès 1896. Et l'Ecole des Mines et de la Métallurgie de profiter largement des compétences d'intervenants extérieur mais aussi du soutien de la population locale et des employés de la mine. Il faudra attendre le ralentissement de l'industrie minière locale, en 1910, pour que l'école commence elle aussi à décliner, avec une chute du nombre d'étudiants. La fermeture de mines en 1920 diminuera aussi les enrôlements d'élèves et l'établissement fermera ses portes cinq ans plus tard. Depuis, notre musée s'y est installé et a progressivement grandi, incluant désormais le théâtre Gaiety, le Grand Hôtel, le poste de police, le tribunal et la Poste. D'autres attractions se sont greffées depuis, comme la loge maçonnique locale, une reconstitution simulée de l'intérieur d'une mine, une forge, des galeries rassemblant d'anciens matériels miniers, ferroviaires et même des véhicules d'antan (ci-dessous).
Je débute ma visite par les premières galeries consacrées aux ressources minières de la côte ouest de la Tasmanie. Cette partie de l'île est fortement liée à la vie sauvage, au tourisme et à l'industrie minière, et fut la première à accueillir un camp de bagnards. Son climat est plus frais et plus humide (j'avais remarqué!) que la côte Est. Le plus gros obstacle à l'exploitation des ressources naturelles de cette région côtière restait l'isolement complet de la zone et le relief accidenté : il faudra beaucoup de persévérance aux premiers prospecteurs pour pénétrer ce milieu naturel, en utilisant le cheval comme moyen de transport. Le rail allait changer la donne, dès le début des années 1900, en reliant mines et camps les uns aux autres, y compris avec les ports de Strahan et de Burnie. On compta jusqu'à huit lignes de chemin de fer dans la région lors des années de fort développement minier. Le développement de l'exploitation des mines permettra aussi à des villes comme Zeehan d'accueillir le chemin de fer. Zeehan fut d'ailleurs une gare de taille tout à fait respectable dans le passé et accueillit le terminus de la Emu Bay Railway (qui desservait Burnie et était l'une des lignes ferroviaires les plus anciennes d'Australie) et la ligne Strahan-Zeehan Railway qui reliait Regatta Point (avec la Mount Lyell Railway). Avant le développement du rail, il exista même une voie ferrée qui permettait le transport du bois de la rivière Pierman jusqu'à Zeehan.
Dans une des galeries consacrées aux minerais, je découvre une crocoïte (ci-dessous), l'un des emblèmes de la Tasmanie. Cette espèce minérale du groupe des chromates a des cristaux qui peuvent atteindre jusqu'à quinze centimètres et peut contenir des traces de zinc et de souffre. Cette pierre tient son nom de sa couleur semblable à des étamines de crocus sativa. C'est grâce à ce minéral que le chimiste français Louis-Nicolas Vauquelin réussira à identifier l'élément chrome.
A Zeehan, on travaillait dur à la mine mais on aimait également se divertir. Le Gaiety Theatre (ci-dessous) naquit de l’incendie du Royal Exchange Hotel en 1892. Son malheureux propriétaire voulut se refaire en faisant bâtir, par l'architecte Searell, ce grand théâtre, un des premiers à avoir été construit en briques. L'ouverture eut lieu en octobre 1898, et rassembla quelques 200 personnes autour d'un concert de musique de chambre. Les points forts de la salle : l'auditorium qui pouvait accueillir mille spectateurs, la scène, le balcon (d'une capacité de 200 personnes), l'éclairage électrique fourni par un générateur indépendant semblable à celui du Parlement de Hobart, les boutiques de la façade donnant sur la rue principale, les toilettes pour dames (incluant une entrée particulière) et les ornements de style ionique, avec piliers, frises et corniches. Très vite, le théâtre Gaiety se taillera une excellente réputation, passant pour le plus grand théâtre de la côte Ouest et la plus belle scène d'Australie, au point d'attirer aussi bien des artistes de Melbourne que des troupes locales (affiche ci-dessous). L'établissement occupait la scène artistique de Zeehan, et organisait des concerts de bienfaisance afin de récolter des fonds d'aide pour des organisations de charité. Et les écoles, associations, et sociétés diverses de la petite ville d'occuper elles aussi la scène le temps d'un spectacle. Même les politiciens y défilèrent. De 1936 à 1966, on assista par contre à une baisse de fréquentation des projections cinématographiques qui y étaient données, suite à l'arrivée de la télévision dans certains foyers. Puis, le théâtre sera loué par la société Renison Goldfields durant les années 1970, pour être utilisé comme centre de conférence, et servira aussi à accueillir de temps à autres des manifestations sportives. En 1990, le gouvernement de Tasmanie racheta le théâtre Gaiety à la société Renison Goldfields, avant d'être plus tard restauré et de voir la création, en 1999, de l'association féminine des « Amies de la Gaiety » servant momentanément à lever des fonds de soutien.
Derrière la scène du théâtre, se trouve une galerie relatant la vie de femmes pionnières en Tasmanie. On peut y voir des mannequins revêtus de tenue féminines d'antan, d'anciens terminaux téléphoniques et autres anciens objets. On peut aussi y lire la vie résumée de quelques-unes de ces familles européennes, fraichement débarquées sur l'île, souvent avec peu de moyens financiers.
A côté du Gaiety Theatre, je me rends dans l'ancien commissariat de police, accolé au tribunal de Zeehan qui s'installa ici à partir de 1897. Le poste de police, lui, fut bâti en murs de briques à partir de 1903. Un incendie détruira le Tribunal d'origine en 1959, bâtiment qui sera reconstruit l'année suivante, et sera utilisé jusqu'à la fin des années 1970.
A proximité, le musée m'offre enfin de visiter la reconstitution d'une loge maçonnique (ci-dessous), loge fermée en 1993.
INFOS PRATIQUES :
- West Coast Heritage Centre, 114 Main Street, Zeehan. Tél : 03 6471 6225. Ouvert tous les jours de 10h00 à 16h30. Entrée : 25 AUD$. Site internet : http://wchczeehan.com.au/
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Pitstop Case, 134 Main Street, Zeehan, pour boire un bon café tous les jours entre 7h00 et 16h00
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L'office de tourisme de Zeehan est hébergé dans le musée (guichet d'entrée)